Bon retour au pays, bonjour les ennuis

RP libre

Faun. Un monde de nuages, de vent et de soleil permanent. Le soleil ne le dérangeait pas tant en vérité, mais le reste… Et bien, disons qu'il n'y était pas habitué. Quoi qu'affirmer qu'il n'y était plus habitué serait un terme plus précis pour décrire son état d'esprit. Cela faisait des mois qu'il pataugeait loin du domaine souverain de la confrérie, à la recherche d'un criminel notoire sensé disparaître définitivement des radars. Mais qu'il doive disparaître ne signifiait pas qu'il doive mourir, contrairement à ses propres souhaits. On voulait voir cet individu aux fers, arrêtés, et interrogé, et étrangement, on interrogeait mieux lorsque le sujet était encore en vie et en état de faire usage de sa mâchoire à défaut du reste (la langue allait de pair avec la mâchoire évidemment). Mais ce que cela signifiait pour lui, c'était une mission d'autant plus propices aux difficultés que sa proie avait tout loisir de le liquider, tandis que lui devait se restreindre et se contrôler. Et, fatidiquement, il en était frustré. Sauf que là encore, la frustration chez lui ne pouvait s'exprimer, à moins qu'il ne veuille encore se mettre à dos un plan entier.

Et comme si ça ne suffisait pas, voilà que son 'paquet' avait trouvé le moyen de quitter le plan où il se trouvait pour se glisser dans celui de Faun, là où la confrérie siégeait. Bon, en toute logique, ça devrait le satisfaire puisqu'ainsi il retrouvait un terrain propice et connu. Le problème, c'était que s'il venait à échouer, c'était sous les yeux de ses patrons qu'il se ferait humilier, et ça, quelque part et même avec son ego réduit, ça ne pouvait pas passer. Et en plus, il pouvait d'autant moins se permettre de ravager les alentours, ou de les voir par lui ravagés. Cela ne faisait que deux petites heures qu'il avait de nouveau mit les pieds sur ce monde ennuagé… mais déjà, il avait la sourde impression que sa proie avait très bien joué son coup. Ses sens calculaient tous seuls, alors qu'il voguait dans les rues étroites de Diadem, chassant parfois un bout de nuage cotonneux de devant son visage en esquivant les charrettes pleines de victuailles, souvent des fruits, ou des sucreries… les mets habituels de la fête qui battait son plein.

La fête après la tempête, la plus importante du plan de Faun… un moment idéal pour disparaître, entre les navires qui traversaient les cieux, la couche de nuage beaucoup plus dense au sol et le nombre de personnes dans les rues du matin au soir, et même en pleine nuit. Ça le fatiguait déjà. Se tournant vers une jeune vendeuse de pommes des montagnes, il lui acheta l'un de ses fruits, l'empocha et décida de s'approcher des quais les plus proches… Autant commencer à poser des questions immédiatement, en se faisant passer pour un étranger. De toute façon, il ne connaissait de Diadem que l'envers, ce ne serait donc pas même mentir.

La fête avait déjà commencé, et les badauds se pressaient dans les rues en riant et plaisantant, de toute évidence heureux de ces festivités. Décidément, ce monde était bien étrange et pas des plus agréables. Le vent asséchait la peau, le soleil la cuisait et les nuages donnaient l’impression peu appréciable qu’il n’y avait rien de consistant dans lequel se mouvoir. Elyvianne avait beau avoir pris l’habitude, au fil de ses voyages intermondiens, à se déplacer sur ses jambes, elle n’était vraiment à l’aise que dans l’eau. Mais en tant que Grande Prêtresse, Passeuse et membre de la confrérie, elle avait des obligations et d’autant plus qu’une certaine personne devait être présentée au Conseil… La réunion n’arriverait toutefois que plus tard, aussi avait-elle le temps de flâner en ville. Dommage que cette activité ne l’intéresse pas spécialement. Ce monde, elle commençait à le connaitre, et bien qu’elle devait avouer que Diadem, la ville où elle se trouvait, avait un certain charme, il n’en demeurait pas moins que ce n’était rien à côté de la Citadelle de Corail et du grand temple qui le jouxtait. Elle se serait toutefois bien abstenue de proposer aux habitants des présents lieux de venir jouer aux visiteurs aquatiques, leur odeur suffisait à la répugnait.

Resserrant sa capuche autour de son visage, elle la tira en direction de son menton afin de protéger au mieux son visage. Ses atours étaient ensorcelés pour rester toujours humides, toutefois leur protection s’amenuisait au fur et à mesure qu’ils s’usaient et elle devrait sans doute en changer dans les prochains voyages. Encore une chose incroyablement agaçante. Il lui suffisait de rentrer chez elle pour se débarrasser de ses oripeaux et retrouver sa liberté de mouvement et un corps soudainement plus léger. Rien n’était à sa place, dans ce monde, c’était incroyable. Et l’autre qui avait encore disparu… Certes, elle avait laissé deux heures à Laurathaiah afin qu’il profite un peu de la fête mais ce n’était pas une raison pour disparaitre complétement. D’un autre côté, la Sylniasse devait bien reconnaitre que ne plus avoir ce truc ambulant et trop bruyant était extrêmement reposant. Avec un peu de chance, il se ferait écraser quelque part, peu importait par quoi, et elle n’aurait pas même besoin de le présenter. Malheureusement, il y avait plus de chance pour qu’il leur attire simplement des ennuis…

L’odeur qui la guidait était un suave parfum aqueux, provenant de l’éclat ambré des ports qui étincelaient au soleil ; la seule chose qui ne pouvait être reproché à cette ville par qui que ce soit était bien la propreté parfaite qui y régnait en toute place. Ses bottes souples foulant sans mal la pierre précieuse, Elyvianne accéléra le pas sans prêter attention à la dureté du sol sous ses pieds. Au début qu’elle venait ici, elle avait bien du mal à ne pas grimacer à chaque fois qu’elle avançait, et rentrait dans son monde épuisée et endolorie, les écailles des pieds, très fines, ayant traversé la chair. Mais c’était bien loin et à présent qu’elle s’était endurcie, elle n’y songeait même plus. L’eau qui miroitait devant elle était bien plus attrayante que les souvenirs douloureux. Lorsqu’enfin elle fut à portée de main, elle y trempa les doigts avec délice, frissonnant de plaisir sous la douce caresse, telle une amoureuse éperdue sous les cajoleries de son amante de toujours. Elle resta ainsi quelques instants, assise au bord de l’eau, fermant les yeux pour mieux entendre le murmure que l’onde portait jusqu’à elle. Mais après le plaisir, les ennuis… Et elle en connaissait un qui n’allait sans doute pas tarder à s’en attirer. Quand elle disait deux heures, c’était deux heures et pas une fraction de seconde de plus, il aurait donc dû être là. L’horloge holographique incrustée dans la manche de son vêtement ne se trompait jamais. S’il continuait comme ça, cet imbécile de poulpe décrépit allait finir la tête dans l’eau, à compter les bulles qu’il ferait jusqu’à ce qu’au bord de l’asphyxie il comprenne qu’obéir était son premier devoir. Se relevant gracieusement, la prêtresse observa sereinement les environs, le visage neutre, avant de se diriger d’un pas assuré vers le premier passant qui s’approchait. Si quelqu’un avait vu ce mollusque rampant, elle le saurait. Et par la Déesse, elle le retrouverait rapidement. D’ailleurs, elle n’était pas la seule à poser des questions. Ce fut donc tout naturellement qu’elle se glissa jusqu’à l’autre curieux, dans la ferme intention d’un échange de renseignements. S’il cherchait quelqu’un ou quelque chose, il avait sans doute fait plus attention à ce qui l’entourait…

Il n’existait pas de meilleure sensation que celle de se mouvoir à l’air libre, de marcher ou de voler parmi les nuages. Non pas que Cetliona était un monde inhospitalier, non, mais même avec les artifices Sylniasses pour lui permettre d’y vivre sans manquer d’air, Laurathaiah préférait, et de loin, vivre hors de l’eau. La première des deux heures que lui avait octroyées l’étrange femme-écaille, le Seraphim l’avait passé à voler tout autour de la Cité. Quelle étrange endroit ; aussi bas qu’il était descendu, jusqu’au pied de la montagne, il n’en avait pas vu que des constructions et des habitations.. Mais il n’en avait pas moins continué à voler, étrennant le nouveau coloris de couleurs mouvantes de ses ailes, résultat on ne peut plus éloquent pour un Seraphim de l’éveil de ses pouvoirs de Passeur.

Le dernier de ses souvenirs conscients remontait à l’assaut final contre la Capitale du Royaume d’Eydeihn. Après cela, il s’était réveillé dans l’eau, entouré des semblables de la Prêtresse. Certains l’avaient trouvé après qu’il se soit téléporté inconsciemment, suite à sa blessure, et rapporté dans le Temple de cette Déesse. Ils l’y avaient soigné, et malgré son sale caractère, la femme, Elyvianne, l’avait pris sous son aile pour lui apprendre à être un Passeur. Quelle étrange femme elle était. Elle acceptait de le former, et lui procurait le gîte et le couvert, mais il semblait parfois à Laura que son plus cher désir était de le voir disparaître. Peut-être bien était-ce le cas, du reste, mais elle était pour le moins contradictoire. Peut-être s’était-il montré grossier et irrespectueux ? C’était tout à fait possible ; après tout, il ne connaissait pas son peuple ni ses us et coutumes, et il avait très bien pu enfreindre leurs règles de bienséance.

Esquivant un de ces étranges bateaux flottants au dernier moment, Laura prit la décision de revenir dans les rues de Diadem. De ce que son Maître lui avait expliqué, ce jour-ci était celui d’une fête très importante, et elle avait même poussé la générosité à lui prêter de l’argent, bien que son expression à ce moment-là signifiait clairement qu’elle s’attendait à être remboursé lorsqu’il en aurait les moyens. Enfin, puisqu’il en était là, autant goûter aux spécialités de ce monde. Plusieurs mets avaient l’air plus qu’appétissants. Le Seraphim s’approcha alors d’un étal où ce qui ressemblait à des brochettes de viande, ou de poisson, allez savoir, était en train de cuire. Mais alors qu’il en portait une à sa bouche, son odorat sensible capta d’autres odeurs très prometteuses. Par la Tour des Anges, cette ville semblait regorger de plats plus délicieux les uns que les autres. Laura jura. Il n’aurait jamais le temps, ni l’argent, de tous les goûter. Mais fichtre, quelle explosion de saveurs dans sa bouche, après avoir dévoré sa brochette, ou encore après avoir mangé ces beignets fourrés à un fruit qui lui était inconnu. Quant à ce qui devait être de la confiserie, quel délice ! Il fut un instant tenté de prendre un verre de ce qui devait être de l’alcool, mais pour peu qu’Elyvianne le sache, il risquait de passer un sale quart d’heure, même si un verre était vraiment peu au regard de ce qu’il était d’ordinaire capable d’ingurgiter. La sagesse l’emporta donc, car il ne connaissait au surplus pas du tout cette boisson, ni ses effets.

Laurathaiah regarda sa… Ce devait certainement être une montre, mais il ne comprenait rien à cette manière de calculer le temps, étant différente de celle de son monde d’origine. Aussi déambula-t-il encore parmi les vendeurs et la foule joyeuse et chantante. C’est alors que son regard fut attiré par une magnifique statuette représentant ce qui, sur Kyrie, aurait ressemblé aux sirènes imaginaires de leurs contes. La belle, finement taillée et joliment peinte, était assise sur un rocher, et regardait au loin, un air mélancolique sur le visage. Les cheveux battaient au vent, tandis qu’une chaude lumière semblait irradier d’elle. Agissant sur une impulsion, et avec l’argent qu’il lui restait, Laura décida de l’acquérir et de l’offrir à son Maître, en insigne remerciement de sa bonté envers lui.

Reprenant les airs, un paquet dans les mains, le Seraphim se mit à la recherche de la Sylniasse susnommée. Cela ne dura pas longtemps, ses yeux perçants et son odorat sensible lui permettant de la trouver rapidement. La jeune femme semblait se diriger vers une personne qui lui était inconnue. Plongeant en piqué, Laura se rétablit au dernier moment, et atterrit avec la douceur d’une plume.

« Maître N’Laylmastrim, la salua-t-il d’une voix grave et en inclinant la tête vers elle, tant par marque de respect que parce qu’il la dominait de deux bons pieds. Veuillez accepter ceci, en gage de ma gratitude envers vous. »

Non on n'avait vu personne qui ressemblerait à la description qu'il donnait, non on ne savait rien, non rien d'anormal dans les environs… Oui, il avait de plus en plus envie d'aller se noyer quelque part ou de s'exiler dans une abysse pour hurler de frustration. Il était beaucoup plus patient que cela en temps normal, mais là il fallait dire que ses nerfs étaient éprouvés. Et encore, il faisait l'effort de se contenir et de ne faire que rêver à cette douce et éphémère libération. Parce qu'au final, elle ne résoudrait pas son problème, elle l'aggraverait. Donc il respirait, prenait sur lui et continuait d'avancer, de surveiller et de poser diverses questions en espérant que quelqu'un aurait un lambeau de piste à lui mettre sous la dent. Il ne pouvait pas être AUSSI doué pour se dissimuler, tout de même…. Mentalement, il reprenait ses calcules, ses évaluations de probabilités, tentant de retracer une fois encore les différents chemins que sa proie pouvait avoir emprunté. Aucune ne paraissait clairement se découper, ressortir du lot, mais à la lumière de son environnement immédiat, cela changerait sans doute. Son regard passa un instant sur un sac de noix, qu'un commerce présentait sur une charrette bondée… et il dû se faire violence pour ne pas céder à l'appel de la curiosité. Déglutissant et se fermant, il secoua la tête… pour être d'un seul coup importuné par la cacophonie d'un navire céleste et de son équipage, ainsi que des êtres alentours.

Avec un grondement bas, il releva le nez, cherchant des yeux ce qu'il se passait, pour finalement tomber sur une oie emplumée qui n'avait apparemment pas eu de meilleure idée que de venir perturber les activités du port. Parce que oui, sur Faun, les ports, ça avait des navires volants, pas des navires voguant. Chacun son style après tout, et l'eau était un domaine particulier, que les habitants des villes n'appréciaient pas forcément et qu'ils ne savaient maîtriser. Pour autant, et malgré le fait que les airs leurs soient plus favorables, ils n'étaient pas habitués à voir n'importe quoi se permettre de d'envahir ce domaine privé… En même temps, aucune race bipède ne volait, en ce plan-ci. L'emplumé à présent posé était donc une curiosité pour les habitants, et une source d'agacement pour lui, car à présent, les mémoires déjà bien venteuses des natifs n'auraient sans doute plus du tout à l'esprit la personne qu'il recherchait. Bon d'un autre côté cela pouvait éventuellement lui servir également… Cela étant dit, il était hors de question que cet étranger s'en tire à si bon compte. S'approchant donc sans se dissimuler il l'interpella sans aménité. « Dis donc vous, ça vous arrive souvent de provoquer des accidents sans même y prendre gare ? Portez un peu attention à ce que vous faites, je vous signal, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué que vous vous trouvez dans un ciel chargé... »

Sourcils toujours froncés, il conclut « Restez les deux pieds au sol, ça vaudra mieux pour tout le monde, vous risquez autant de tuer quelqu'un que de vous faire tuer, personne n'a besoin de ça. Si vous voulez voler, il y a des navires faits pour ça, tant d'ailleurs que vous devriez avoir l'embarras du choix » Et il se détourna après un bref signe de tête de salutation, sec, à la personne qui accompagnait l'étranger, dardant un regard désillusionné sur ce dernier avant de reprendre son observation des lieux en s'éloignant.

Empoté, et dangereux. Que pouvait-il bien trouver au vol quand la nage était si merveilleuse ? Observant son protégé qui s’était posé à terre sans la moindre discrétion, Elyvianne plissa les yeux sous sa capuche avec mauvaise humeur, la tête renversée en arrière pour voir le visage de son apprenti Passeur mais fermement campée sur ses deux jambes, bâton pointé vers le ciel. La haute taille de son interlocuteur étant également un sujet d’irritation, elle préféra ne pas y songer pour e venir droit au but, inflexible.

-L’Heure se respecte, tu ferais bien de t’en souvenir. Quant à ta discrétion, nous en reparlerons plus tard.

Sifflante, sa voix rappelait le souffle du vent sur les vagues agitées, annonciatrices d’une dangereuse tempête. Elle ne désirait toutefois pas davantage attirer l’attention de ce peuple décadent sur elle à cause d’un être aussi pitoyable que Laurathaia, aussi se détourna-t-telle, pour l’instant, de ce sujet pour tendre la main et s’emparer de ce qu’il lui offrait. Le levant devant ses yeux, elle eut pour la première fois un bruit de gorge, semblable au son des bulles venant éclore à la surface de l’eau, et qui se révélait tout simplement être son rire. Un rire insoupçonné, presqu’une légende tant il était rare. Mais pour l’occasion, il fallait bien dire que… si l’objet était splendide, en cela il n’y avait nulle hésitation à l’admettre, ce qu’il représentait était absurde. Un tel mélange de poisson et d’humain… Les Sylniasses étaient bien plus évolués que cette simple créature à la queue écailleuse en lieu et place des jambes. Et ce visage… c’était celui d’une humaine, dont la peau n’aurait pas toléré un long séjour dans l’eau. Ce qu’avait voulu signifier son protégé en lui offrant lui échappait, néanmoins elle ne tarderait pas à le savoir. Avant toutefois qu’elle n’ait pu l’interroger ou lui faire remarquer, sans amabilité, que cela ne l’excuserait pas dans son retard (et d’autant plus que la créature était une offense à toute bonne logique), un importun intervint pour manifester son mécontentement. Et bien, voilà qui devrait lui remettre les idées en place, à cet hurluberlu à ailes. Cela étant, pour l’excuser, depuis quand les bateaux volaient-ils ? Ils semblaient n’avoir aucune logique quant à leurs déplacements, pourtant Elyvianne ne doutait pas qu’ils obéissaient à un code précis et mystérieux qu’elle ne connaissait pas, afin d’éviter toute collision. Braquant son regard vert-doré sur Laurathaia, elle inclina légèrement son bâton vers lui.

-Va t’excuser tout de suite. Un Passeur doit savoir imposer le respect et se faire respecter, mais aussi reconnaître ses torts lorsqu’il est en cause. Et éviter tout accident, cela va de soi. Vas le voir et tâche de bien faire.

L’étranger s’éloignait déjà, observant autour de lui comme s’il cherchait quelque chose. Glissant une main verte et écailleuse sous sa capuche, Elyvianne se massa la pointe des oreilles, imperturbable. Elle les avait recouvertes d’une coque d’acier finement ouvragée afin de les protéger des bruits trop clairs qui résonnaient à l’air libre, mais le poids qui reposait dessus l’irritait. Sitôt que Laurathaia aurait accompli sa tâche, elle pourrait rentrer… avec un peu de chance. Pour l’instant, elle se contenta toutefois de lui emboîter le pas en direction de l'étranger afin de s’assurer qu’il obéirait correctement.

Comme de juste, son Maître était énervé. Visiblement, les symboles étranges qui couraient sur sa montre signifiaient qu’il était en retard. Il faudrait vraiment qu’il apprenne comment le temps était calculé sur tous les mondes où il allait. Cela lui éviterait bien des ennuis à l’avenir. Elyvianne n’était pas le genre de précepteur qui pardonnait les erreurs. Mais lorsqu’il lui offrit son cadeau, il sembla que sa colère s’était évaporée. Du moins en partie. A force de vivre aux côtés de son peuple, il commençait à savoir comment décrypter leurs émotions. En cela, ses pouvoirs lui étaient fort utiles. Et grâce à ce savoir, il essayait de mettre les émotions en relation avec les expressions de leurs visages, dont certaines étaient bien différentes de celles des Seraphims.

Toutefois, l’étrange bruit de gorge qui émana de son Maître le laissa désemparé. Ce ne semblait pas être une émotion négative, mais… Se pouvait-il qu’elle. Non, impossible, cela ne correspondait pas le moins du monde au personnage. Mais, après tout, qui était-il, lui, l’exilé, pour affirmer ce qui correspondait et ce qui ne correspondait pas ? Après tout, il ne la connaissait pas depuis suffisamment longtemps. Juste assez pour savoir que, à côté de ses colères, les tempêtes automnales de Kyrie faisaient pâle figure.

Soudain, un individu, visiblement en colère, l’interpella. Visiblement à cause du navire volant qu’il avait esquivé. Faisant disparaître ses ailes dans de légers volutes d’énergie, Laurathaiah se tourna vers lui. Jalousie de bipède terreux qui jamais ne pourrait ressentir la liberté totale qui était le lot de ceux pouvant évoluer dans les trois dimensions ? Non, il y avait plus que cela, visiblement. Son regard était bien différent de ceux des autochtones, même si ces derniers le considéraient avec méfiance. Toutefois, avant même qu’il ait pu avoir le loisir de répondre, l’étranger s’était détourné et était reparti là où ses affaires devaient le mener. Alors que le Seraphim allait considérer l’incident comme clos, Elyvianne vint le voir, et le pria gentiment d’aller présenter ses excuses.

« Maître, sauf votre respect, je vole depuis bien des décennies. Du reste, aucun accident n’a eu lieu, et… »

Le regard que lui lança son Maître le fit s’interrompre. Mieux valait ravaler son orgueil et obéir. En cela, son entraînement lui évita de subir le courroux de la Sylniasse. Aussi, le Seraphim emboîta-t-il le pas de l’homme, et se hissa à sa hauteur.

« Veuillez me pardonner, Edel, commença-t-il en utilisant le titre donné aux Chevaliers de son monde. Voilà bien longtemps que je n’ai point eu l’occasion de voler de par les cieux. Il n’entrait nullement dans mes intentions de provoquer un quelconque grabuge. Se tournant vers Elyvianne, Laura la désigna du bras. Voici mon Maître, la Grande Prêtresse Elyvianne Lalastrim. Je suis Edel Laurathaiah, du Trône Selnori. »

Laurathaiah s’arrêta un instant. Cela suffisait-il ? L’homme venait-il d’un peuple où demander des excuses impliquait quelque autre action ? Le Seraphim ne savait pas quoi faire d’autre. Ne valait-il pas mieux trop en faire, justement, que pas assez ? Il devait se décider maintenant ; il ne pouvait assurément pas demander conseil à son Maître maintenant.

« Puis-je vous proposer notre assistance en quoi que ce soit, Edel, afin que je puisse réparer mes torts ? »

Parfois, il hésitait entre bénir et maudire ses capacités sensorielles. Ainsi, l’emplumé était un passeur ? L’étincelle adoptait vraiment n’importe qui… Enfin, là-dessus mieux valait qu’il ne fasse pas de commentaires, lui aussi était un sacré numéro et ne mériterait probablement pas ce don. Ce qui était intéressant, c’était de savoir qu’ils étaient passeurs… étaient-ils référencés par la confrérie ? Et sinon, serait-ce possible de les recruter ? Ce n’était pas son travail à lui évidemment mais si personne d’autre ne les remarquait, il ne pouvait pas vraiment les laisser passer. Pourtant, il risquait plus de les faire fuir qu’autre chose. Ce n’était pas comme s’il ignorait que son caractère ne passait pas avec tout le monde…

Un tic agacé vint agiter son visage, tandis que ses oreilles affutées continuaient de suivre ce qu’échangeaient les deux étrangers. Il n’aimait pas du tout ce qu’il entendait. Pas parce qu’il ne comprenait pas qu’on veuille avoir raison mais… il n’avait pas envie qu’on vienne le fatiguer avec des actes de mauvaise foi. Ce fut donc avec la ferme intention de renvoyer l’emplumer chez lui qu’il se retourna pour lui faire face, ouvrant la bouche. Hélas, l’autre fut plus rapide que lui, et il se renfrogna davantage encore, l’observant sans prétentions amicales. Il allait finir par perdre encore davantage sa proie avec toutes ces bêtises. Il expira lentement, dans l’intention de rester à peu près courtois, et finit par répondre, aigrement :

« Il n’était pas non plus dans vos intentions de venir vous excuser. Je n’aime pas les individus agissant sans y mettre leur cœur… Je n’accepte donc pas vos excuses, même si je veux bien croire que vous n’aviez pas de mauvaises intentions. De toute façon, ce n’est pas à moi que vous devriez en faire mais aux bateliers là-haut, c’est leurs vies, et celles de leurs équipages que vous menaciez… et à tout le reste de la ville, dont les fêtes auraient été gâchées s’il y avait eu un accident » En tout cas, c’est deux-là ne se cachaient pas… Il ne savait pas si c’était une bonne chose ou non. Il ne savait pas non plus, d’ailleurs, s’il pouvait vraiment faire quoi que ce soit d’eux. Leur trouver une utilité lui semblait aussi compliqué que retrouver sa proie…

Et puis en avait-il même le droit ? Ça aucun idée, à bien y regarder. « Je ne pense pas que vous puissiez réellement m’aider, tous les deux… et je n’ai pas envie de vous mettre en danger, ou de vous impliquer dans quoi que ce soit. Que ce soit vous madame, ou vous, maladroit que vous êtes… » Il se tourna alternativement vers l’un et vers l’autre «… il ne m’appartient pas d’assombrir votre journée » Il réfléchit pourtant, et après un instant, croisa les bras, lentement « Cela dit, si vous avez vu un étranger à ce monde, j’apprécierais de le savoir, il serait facile à repérer, il ne ressemble à aucun habitant d’ici, grand et courbé sur lui-même, comme s’il était bossu… Il porte un masque de cuir sable. Il aura pu passer par ici récemment, et aurait été pressé… est-ce que cela vous dit quelque chose ? »

Cet imbécile. Stupide, stupide poisson volant ! N’était-il donc pas capable de faire une chose, une seule chose, correctement ? De toute évidence, non. Il fallait qu’il gâche le peu qu’il parvenait à maitriser. Si ce n’était pas affligeant… Il osait, oui, il osait proposer son aide, à elle, comme s’il s’agissait d’une chose banale et normale ! Comme si cet encanaillé avait la moindre légitimité pour faire une telle chose ! Comme s’il avait —et elle sentit le très violent besoin de lui arracher les oreilles— le moindre pouvoir sur elle. Pinçant imperceptiblement les yeux sous sa capuche, sa voix se fit suave et menaçante tandis qu’elle le corrigeait sur ses outrageux propos.

-Mon cher apprenti, tu me feras le plaisir de commencer par assumer tes propres idioties ; je te fais la grâce de t’enseigner mes connaissances, n’essayes pas en plus de me contraindre à supporter tes erreurs.

Il n’était pas censé être un enfant, cela dit le doute l’effleura. Il avait dit être un soldat, mais peut-être engageait-ils des jeunes gens dans son monde ? Qu’importait finalement, elle n’était pas celle qui l’éduquait réellement, se contentant de lui apprendre ce que Passeur signifiait. Et les ailes qu’il possédait, elle-même ne les avait pas, elle ne pouvait juger de la façon de s’en servir. Comme un être intelligent et raisonnable. S’il ne pouvait pas voler sans risquer de provoquer un carambolage quelconque, elle lui interdirait tout simplement de le faire jusqu’à ce qu’il trouve un endroit correct où s’entrainer. Et dire que non seulement cette plaie avait atterrit dans son monde, mais qu’en plus elle devait en faire un Passeur…

L’étranger que l’idiot avait importuné avait visiblement un caractère affirmé. Le détaillant vaguement, Elyvianne avant tout le mélange de politesse et de rudesse qui s’affirmait dans sa voix, plus que les longs cheveux en désordre ou les yeux d’or. Sans doute n’avait-il pas l’habitude de cacher ce qu’il pensait, tout en dédaignant pas la courtoisie la plus élémentaire. Etrange mixture que celle-ci. La Sylvianne avait hâte que Laurathaia répare son erreur et qu’elle puisse enfin se retrouver au calme de ses appartements, loin de cette agitation désagréable. L’air était tellement plus bruyant que l’eau… Relevant imperceptiblement la tête, elle observa avec attention les bateaux qui volaient, estimant qu’un de plus ou de moins ne changerait pas grand-chose de toute façon. Après tout, ils valaient mieux qu’ils soient capables de faire face à n’importe quelle situation. Alors certes, son escl… apprenti n’était pas n’importe quelle situation, il était pire ; mais contrôler un navire voulait aussi savoir dire réagir face aux pires catastrophes !

-N’ayez pas peur de le mettre en danger, répliqua-t-elle froidement, il aime cela. Quant à mes journées, voilà longtemps qu’elles sont assombries.

Jetant un regard glacial à Laurathaia, elle se retourna de nouveau vers l’étranger, très digne malgré la remarquable différence de taille ; elle lui arrivait aux épaules. Pourtant, pas le moins du monde impressionnée, elle lui jeta un regard pénétrant et relativement agacé :

-N’avez-vous pas dit que nous ne pouvions vous aider ? Mais non, je ne l’ai pas vu mais la ville est grande et nous sommes arrivés depuis peu. Cela étant, mon assistant peut peut-être survoler la ville sans tout casser si vous connaissez la direction prise. S’il est si visible, il devrait presque être capable de le faire. Le désir m’effleure même de vous le laisser.

Définitivement, cela allait de soi. S’il ne se prenait pas une maison en cours de route ou ne heurtait pas. Par Firaaany, elle avait presqu’envie de le voir s’assommer une bonne fois pour toute. Malheureusement, elle ne pouvait prendre le risque qu’il finisse amoché alors même que la réunion avait lieu dans si peu de temps. A lui donc de réussir ce test. Et rapidement, Elyvianne avait la désagréable impression qu’elle commençait à se dessécher.

Misère, quelle bande de désagréables formaient ces deux-là. Entre cet inconnu qui se la jouait mystérieux désabusé, et Elyvianne… Bah, c’était Elyvianne. Qui n’arrêtait pas de le prendre de haut comme s’il n’était qu’un jeune chérubin. Fichu caste de religieux. Décidément, ceux-là étaient les mêmes partout, quels que soient la culture et le monde. Toujours à prendre de haut le reste des gens. Enfin… Laura chassa son agacement de son esprit. Il avait envers la créature aquatique une dette sacrée, celle de la vie. Selon les us de son peuple, une personne dont la vie était sauvée par un autre devait servir son sauveur jusqu’à ce que la dette soit considérée comme payée. Bien sûr, avec l’évolution technologique, les services dus n’étaient plus aussi importants, de manière générale, mais cette coutume avait néanmoins survécu aux passages des Cycles.

Concernant les bateliers… En même temps, si ceux-ci se laissaient effrayer pour si peu… Relâcher sa vigilance conduisait inévitablement à la mort, chaque soldat le savait. Et cela était d’autant plus dangereux en fin de mission ou, comme dans le cas présent, au retour au port, car alors, un faux sentiment de sécurité pointait son nez, alors que le danger rôdait toujours insidieusement. Mais que les fêtes eussent été gâchées, cela, il voulait bien le croire. Mais gâchées pour si peu… Ah, l’insouciance des peuples en paix.

Ignorant la remarque dédaigneuse de son Maître, Laura se concentra et fit appel à sa mémoire. Le problème étant que la foule était importante, et dans la mesure où il ne cherchait pas quelqu’un, son niveau d’attention des gens l’entourant n’était pas bien élevé. Non, il ne voyait pas la personne, et la sommaire description ne l’aidait pas. Grand et bossu, avec un masque de cuir… Cela dit, Laurathaiah n’avait pas non plus survolé ou parcouru la totalité des rues de cette ville. Il se pouvait donc qu’il ne l’ait pas vu du tout, tout comme il pouvait l’avoir vu sans s’en souvenir. Cela dit, il pouvait peut-être se débrouiller pour le trouver. Encore fallait-il que l’homme accepte finalement leur aide.

« Pardonnez-moi, Edel, mais auriez-vous un objet sur vous ayant appartenu à la personne que vous recherchez ? Je ne suis pas un "pisteur" à proprement parler, mais je possède quelques aptitudes qui pourraient se révéler utiles pour trouver l’aiguille dans cette botte de foin. »

L’homme ne semblait toutefois pas convaincu. Cela accentua le ressenti que Laura éprouvait, à savoir que l’inconnu ni ne lui faisait confiance, ni souhaitait revenir sur sa considération première, à savoir que le Séraphim était accidentogène. Tsss, Laurathaiah n’était pas orgueilleux, non, mais il avait une certaine fierté, due à son titre de Chevalier de la Garde Royale et à son passé de vétéran. Et il en allait de même pour son Maître, mais elle, elle avait tout simplement mauvais caractère, même si son fond était bon.

« Je ne vous promets rien, car cela dépendra de ce qui reste comme odeur sur l’objet en question, si jamais vous en possédez un, mais mes sens olfactifs sont plus développés que beaucoup de race. Je ne sentirai pas votre cible d’ici si elle se trouve à l’autre bout de la ville, mais en volant au-dessus des foules, il existe une probabilité non-négligeable que je puisse le trouver. »

Ce serait sa dernière proposition, et tant pis s’il n’acceptait pas. Laura voulait bien l’aider, mais si ce chasseur refusait une nouvelle fois, eh bien, Elyvianne aurait beau râler, cela ne serait plus de son ressort. Elyvianne… Se tournant vers elle, Laura lui demanda :

« Vous qui savez lire ces… Symboles, Maître, commença-t-il en tendant son poignet sur lequel se trouvait la "montre". Dîtes-moi, nous avons bien toujours le temps, n’est-il pas ? Cela dit, vous pouvez effectivement me laisser en compagnie d’Edel… Euh… Dont j’ignore toujours le nom ; et vous rendre seule auprès du Conseil. Mais vous devrez alors vous expliquer quant au fait que la raison de votre présence ici n’est point avec vous, conclut-il avec un sourire matois. »

Sujet: Re: Bon retour au pays, bonjour les ennuis