Voyage voyage... C'était pas une chanson ça ? [Mei]

Flash Back

Curieuse créature que celle-ci. Il était très curieux de savoir quelle histoire se rattachait à elle. Pour une fois, ça ne le dérangeait pas vraiment, d’être mis à contribution au-dessous de ses capacités. Ça restait acceptable, car après tout, les dangers de Faun étaient réels et à ne pas sous-estimer. Aussi n’était-il pas particulièrement irrité d’être ainsi demandé. Au lieu de rendez-vous désigné, une bâtisse sur le bord de la montagne sur laquelle Diadem était perchée, il s’était installé sur un petit muret extérieur, en attendant la créature pour laquelle il se déplaçait. A croupetons, il regardait aller les nuages irisés, rosés et dorés, crèmes et orangés, se laissant bercer par la litanie du vent jouant dans les cloches du quartier. Son regard était vide, la créature en lui libérée pour lui éviter migraine et perturbation lors de sa future mission. Le dragon curieux et innocent comptait les filaments d’eau tissés en nuages magnifiques. Il restait là, émerveillé, incapable de se défaire de magnificence simple de ce qu’il observait. C’était reposant, de pouvoir enfin se laisser aller, de pouvoir simplement céder, et ne pas avoir à se contrôler. C’était si rare, ces temps-ci. Il lui fallait l’apprécier. Plus rien n’avait d’importance que ces deux sens-là, qu’il déployait. Et pourtant, soudainement, une étrange odeur vint lui chatouiller le nez. Une odeur qu’il identifia immédiatement comme n’étant pas de Faun, sans pouvoir davantage en penser.

Il eut beaucoup de mal à s’arracher enfin à sa contemplation, et quand il le fit, il, elle (c’était dur de savoir), était là, tout près, le faisant à demi sursauter. Clignant des yeux et dépliant son grand corps pour se donner contenance, il salua la créature d’un signe de tête, ses yeux mordorés la détaillant sans trop se cacher, le dragon en lui ayant distingué là un autre sujet d’intérêt. « Bonjour à vous… euh… » Hésitation, ses yeux se détournant juste un instant, changeant d’appuis, d’une jambe à l’autre « On ne m’a pas dit votre nom, désolé. Et d’ailleurs, on ne m’a pas exactement dit ce que vous recherchiez. Je sais juste que vous voulez visiter l’extérieur des villes pour une affaire… si ça ne vous gêne pas, j’aimerais bien en apprendre un peu plus, au moins pour savoir de quoi je devrais vous protéger. Ce monde a peut-être l’air doux, mais il est plein de danger, bien plus qu’on ne pourrait le penser. Cela me permettrait aussi de savoir quels genres de préparatifs faire, savoir combien de temps nous serons parti… bref, vous comprenez, n’est-ce pas ? » Un silence, puis, incapable de s’en empêcher, il continua « Dites… par pure curiosité, vous êtes quoi, exactement ? » Et hop, les deux pieds dans le plat, avec toute la candeur de la créature qu’il incarnait, grand enfant jamais atteint par la maturité de l’humain que, pourtant, il était…

Mei Liwan vérifiait qu'elle avait bien tout son matériel avec elle. Il aurait été dommage de manquer d'outils nécessaires à la récolte des échantillons... Sa quête du savoir était inestimable! Tout avait une réponse et ses recherches permettaient autant d'y répondre que d'en créer de nouveaux. Une recherche constante qui la tenait en vie: la science, le savoir, c'était la raison de son existence sur ce monde. Aujourd'hui, alors que la brume du matin voilait les paysages dans un gris nacré absolument magnifique, la jeune Tseyvar attrapa sa sacoche avant de traverser les plans et noyaux en direction du monde de Faun pour de nouvelles recherches. Elle s'y était déjà rendu par le passé mais le temps passant, les espèces évoluant, elle devait fréquemment revenir sur ses pas pour constater ce phénomène et les retranscrire tout en récupérant les nouveaux échantillons.

"Allons-y."

La voix chantante et légère comme le vent, elle apprécia d'arriver à destination, regardant autour d'elle pour essayer de se rappeler par rapport à ses souvenirs. Elle avait engagé un guide et protecteur dans sa chasse aux échantillons qu'elle devait retrouver au pied de la montagne où trônait fièremet Diadem, et ce fut là-bas qu'elle se rendit. Calmement, aérienne, lente, Mei Liwan s'approcha du lieu de rendez-vous avant de s'arrêter devant la créature, clignant les yeux au ralentit en la dévisageant sans un mot, le laissant s'exprimer. Il semblait nerveux... La rendait-il mal à l'aise? Son apparence devait sûrement le troubler, il ne devait pas être habitué à voir des êtres comme elle dans son monde. Lentement, elle émit quelques ultrasons en le regardant avant de se tranformer lentement, usant de sa polymorphie pour adopter une apparence propre aux gens qui ressemblaient à l'homme en face d'elle. Les cheveux cours et bruns, les yeux verts, un peu plus petite que lui, le corps fin et souple pour la vitesse, elle dû lever les yeux vers lui pour le regarder, ses lèvres couleurs corail s'entrouvrant pour parler.

“Je suis Mei Liwan, scientifique. Le but de notre rencontre est de pouvoir récolter des échantillons sur la faune et la flote ambiante à ce monde pour comprendre l'évolution. Rien de bien compliqué en somme. Quant à la durée, et bien autant que cela vous sera possible: plus je récolte d'échantillons, plus cela m'aidera dans mes travaux. Cela vous convient?”

Sa voix n'avait pas changé, elle était toujours aussi légère et chantante, ses mains posées mollement sur la besace qu'elle avait en travers de son torse.

“Ce que je suis?”

Elle cligna des yeux, le fixant avec surprise.

“Je suis une Tseyvar, j'appartiens au monde de Hukan. Et vous? La couleur de vos yeux est particulièrement intéressante.”

Mei Liwan ne connaissait pas vraiment la diplomatie: l'intérêt scientifique passait avant toute chose et il avait un regard des plus fascinants.

Ses yeux, particuliers ou non, s’agrandir en tout cas de surprise en la voyant se transformer. Alors là, il était estomaqué ! Pourtant, il en avait vu, des pouvoirs et des énergies différentes, à courir de plan en plan et de monde en monde mais… mais alors là, il fallait le faire ! Avait-elle déjà vu des humains, pour pouvoir reproduire la physionomie comme ça, ou est-ce qu’elle s’inspirait… de lui ? Comment faisait-elle d’ailleurs pour changer comme ça, aussi rapidement, parfaitement ? Instinctivement, ses sens s’étaient d’autant plus lancés à l’assaut de cette étrangeté, et il pouvait en attester, et le dragon en lui de même, cette transformation était réellement parfaite. Il cligna rapidement des yeux, ses iris s’ouvrirent, et il faillit replonger dans son état d’observation aveugle. Se faisant violence, il ne put pourtant éviter d’ouvrir légèrement la bouche, muet de stupeur. Finalement, il ferma la bouche dans un claquement de dents sec avant de secouer légèrement la tête. Les modulations de cette voix n’étaient pas humaines, même si à présent, la créature paraissait être un membre de son peuple d’adoption… elle lui plaisait bien, comme voix, et la créature était suffisamment curieuse pour qu’il ait bien du mal à retenir la curiosité innocente du dragon. Pour autant, sa remarque le surpris presque plus encore que le reste.

« Hein ? Intéressante ? Euh… Ah bon ? »

Alors là, elle lui posait une colle. La couleur de ses yeux était intéressante ? En quoi ? Enfin… à vrai dire, il ne savait même pas de quelle couleur étaient exactement ses yeux, alors il ne pouvait guère dire. Et puis c’était ses yeux, il y était habitué sans doute… mais à bien y réfléchir…. C’était un compliment ça ?

« Et bien euh, écoutez, d’accord… je n’avais jamais vu la vôtre auparavant, les membres de ma race n’ont pas beaucoup de coloris d’yeux différents. Enfin… » Il s’attrapa la nuque et la massa violemment en écrasant des mèches au passage, ennuyé « C’est compliqué, bref euh ça n’a pas d’importance » Secouant une fois encore la tête, il finit par avoir un rictus « Tant que vous n’essayez pas de les transformer en échantillons, je suppose que je peux vous laisser voir de plus près. Sinon, oui euh… le contrat me convient. Ce n’est effectivement pas bien compliqué » Il recula un peu, en s’adossant de nouveau contre la barrière, le coude sur la surface, le dos arrondit et les jambes à demi croisées. « On peut commencer par les plaines de nuages, ce sera le plus simple pour vous échauffer, si je peux le dire comme ça. On verra comment notre collaboration se passe, si tout va bien nous pourrons aller plus loin dans les espaces sauvages. Et vous pourrez peut-être me parler un peu de votre peuple et de vos capacités, parce que je n’en ai jamais entendu parler… »

Il semblait encore plus surprit qu'auparavant en voyant son corps se modifier comme une matière étirable et modelable pour prendre des teintes qu'elle n'avait pas initialement. Cependant c'était une surprise moins nerveuse que précédemment donc Mei Liwan se dit qu'elle avait sûrement eu raison de se transformer, il allait être plus à l'aise avec elle désormais: aucune distraction ne devait nuire à ses recherches, elle voulait des conditions optimales.

« Oui j'aime beaucoup vos yeux. »

N'arrivait-il pas à comprendre les mots simples ? Peut-être s'exprimait-elle pas assez correctement. Le langage aurait-il évolué depuis son dernier passage ? Il allait falloir qu'elle étudie cela aussi... Mais pas un seul instant elle ne parut surprise ou nerveuse, toujours égale à elle-même, simple et tranquille, la voix chantante alors que son regard luisait d'intérêt. Oh c'était pour ça qu'il ne semblait pas comprendre ses propos ? Mei Liwan secoua la tête en levant les mains vers lui, pauvre être : lui faisait-elle si peur que ça ?

« Ne vous inquiétez pas. Je ne vous les enlèverais pas. J'ai déjà vu une fois quelqu'un avec un regard comme le vôtre. »

Elle pencha la tête sur le côté pour le regarder pensivement.

« Et si je voulais vraiment vos yeux en échantillons, je vous aurais prit dans votre ensemble : c'est bien mieux. »

C'était fascinant comme un rien lui faisait faire des ratés de langage. Il semblerait que ses capacités continuaient de troubler légèrement son guide, qu'elle soit dans sa forme originelle ou dans une forme d'emprunt.

« Un échange de bons procédés ? Très bien, cela ne me dérange aucunement. La curiosité est une très grande qualité chez un être vivant, une qualité que mon peuple honore avec beaucoup de respect : il n'y a rien de plus beau au monde que de chercher à répondre aux questions du Tout. »

Elle étira ses lèvres dans un simulacre de sourire en inclinant légèrement le buste.

« Quand pourrons-nous partir ? Beaucoup de travail nous attend et je ne voudrais prendre aucun retard. Si besoin de matériel ou de vivres pour vous, hâtons-nous d'aller les chercher qu'on puisse commencer. Montrez-moi le chemin et posez-moi les questions que vous voudrez. »

Impatiente, elle lui tourna le dos avant de lui jeter un coup d’œil, se demandant ce qu'il attendait pour se mettre en mouvement.

Et bien au moins il ne la vexait pas ! Ça aurait quand même été dommage de devoir se trimbaler avec cette créature à travers la moitié de Faun et qu’elle lui fasse la tête. Enfin, peut-être n’était-ce pas une pratique courante chez son peuple, ce n’était pas lui qui saurait ce genre de détails, mais dans le doute mieux valait probablement se réjouir quand même qu’elle ne soit pas vexée ? Hochant la tête, il cligna rapidement des yeux et tourna la tête de droite et de gauche. Elle aussi avait des questions, de toute évidence, ce qui était plutôt naturel, vu que c’était elle qui venait visiter. « Nous pouvons partir dans l’heure. J’ai déjà mon matériel et je trouve facilement mes vivres. Il nous faut simplement récupérer un navire de brume ou une monture quelconque pour pouvoir emporter nos échantillons. Et vous ? Vous n’avez pas besoin de vivre ? »

Il attendit d’avoir la réponse avant de hocher la tête de lui faire un signe de la main, l’invitant à le suivre dans les rues pavées et nuageuses de Diadem. « Venez, je vous emmène. Nous devons descendre dans tous les cas par la porte inférieur, près du sol » Ils pouvaient aussi partir par l’une des portes intermédiaires, mais il serait plus compliqué de descendre ensuite, et les montures ne seraient pas aussi adaptées que celles qu’ils pourraient bien trouver au pied de la montagne, et donc de la ville. Marchant de son pas tranquille, il prit garde de ne pas laisser son lourd sac de cuir venir frapper contre les étals de marchandises ou les passants, se déplaçant avec précaution, en gardant les yeux baissés sur ses chaussures pour s’éviter de trop grandes tentations. Il ne voulait pas se sentir frustré avant de partir.

Et puis, il avait d’autres moyens de naviguer, sans avoir forcément besoin de son champ de vision intégral. Et il avait déjà une source de curiosité sous la main, plus intéressante que le reste pour son intellect. Pour une fois que c’était lui et pas le dragon qui choisissait… « Alors, pourriez-vous me parler de votre monde ? Je n’en ai jamais entendu parler. Dans quel cercle se trouve-t-il ? Votre race est la seule qui l’habitude ? Ils vous ressemblent tous ? Est-ce une capacité que vous possédez tous que de pouvoir changer d’apparence ? Comment est votre habitat ? Vous avez beaucoup de pierres ? Est-ce un projet personnel que votre recherche d’échantillons ou est-ce une demande de votre euh… quelle genre de hiérarchie avez-vous exactement ? » Il laissait les questions couler comme l’eau d’un fleuve tandis qu’ils s’acheminaient lentement vers le bas de la montagne. Progressivement, les nuages se firent plus dense et plus crémeux, la visibilité plus mauvaise…

Répondant à ses interrogations sans se départir de son calme et de sa sérénité, Mei Liwan était satisfaite de savoir qu'il pouvait partir dans l'heure. Les émois intenses comme la peur, l'anxiété, la colère, etc., n'étaient pas une tradition chez son peuple mais l'impatience pouvait aller de mise quand il s'agissait de la quête du savoir.

« Non. Je me contente d'eau et de nutriments que l'on trouve dans vos arbres. Je n'ai besoin de rien d'autre. »

Bien, puisque ceci était clair et net, elle le suivit dans les rues de Diadem, regardant autour d'eux pour reconnaître le chemin qu'ils prenaient : à première vue il ne semblait pas avoir de réelle besoin de modifier la cartographie de la cité... Quelques détails oui mais rien de bien alarmant pour le moment. Docile et silencieuse, la jeune Tseyvar resta dans ses pas, faisant marcher ses neurones pour enregistrer toutes les informations qu'elle avait histoire de pouvoir les comparer avec ce qu'elle a déjà pour effectuer les mises à jour. Ce n'était pas pour autant qu'elle n'avait pas noté l'étrange comportement de son guide... Peut-être n'aimait-il pas la population et les foules... Curieux.

« … Si jamais vous venez à vous rendre dans le monde de Hukan, mon peuple serait ravis de faire connaissance avec un être tel que vous, qui a soif de savoir et de comprendre. »

Esquivant de justesse des enfants en train de courir, elle se rapprocha de lui pour ne pas le semer parmi tous ces gens.

« Il y a de nombreuses races dans notre monde mais nous sommes la seule qui est la plus avancée au niveau de la connaissance et de la technologie, au niveau de l'éveil spirituel, si vous préférez. Mon besoin de savoir et comprendre les choses est tellement intense que le reste de mon peuple qu'il m'est nécessaire de partir absolument partout, sur tous les plans et les mondes pour récolter les informations. C'est de ma propre initiative que j'ai organisé cette expédition et votre embauche, tout simplement. »

Profitant d'être dans une ruelle vide, Mei Liwan reprit son souffle : elle n'était pas habituée à une marche aussi rapide dans une place aussi surpeuplée.

« En général, nous nous contentons de nous fondre dans le décor mais je suis la seule pour le moment à réussir à me transformer à ce point mais mon cas est quelque peu particulier. Mais dans notre forme première, nous avons des traits communs : chaque être est unique mais il a des particularités qui lui permettent de découvrir ses origines. Nous avons donc des hauteurs et des largeurs différentes, des couleurs de peau et de regards différents, même nos crêtes peuvent être de teintes ou de nuances différentes. Mais nous nous ressemblons plus ou moins. »

Faisant travailler sa mémoire, elle se demanda si elle avait répondu à toutes ses questions, restant bien près de lui alors que la visibilité se faisait moindre. Ah ? Non, elle en avait oublié quelques unes.

« Des pierres ? De type roche calcaire vous voulez dire ? Ou précieux selon la définition humaine ? »

Voilà une demande curieuse. En quoi ça l'intéressait de savoir s'il y avait des pierres dans son monde ? Perplexe pour son plus grand plaisir personnel, sa vision limitée et sa distraction ne lui permirent pas de remarquer la racine qui dépassait. Résultat des courses, Mei Liwan trébucha pour aller embrasser le sol, s'écorchant les genoux.

« Ce que les êtres humains sont fragiles... »

S'asseyant sur son postérieur, elle regarda le trou de son pantalon et un peu de sang rouge s'écouler de sa plaie, mortifiée mais aussi surprise.

« C'est étrange de voir son fluide rouge... »

Ils étaient donc, dans son monde, la race la plus avancée, et elle, elle partait de son plein grès. D’accord. Une race se basant sur une valeur de curiosité et de savoir, ça changeait agréablement des habituelles coutumes martiales, mais c’était également surprenant. Sans doute la première fois qu’il entendait parler de ça, comme d’un monde nommé Hukan. Peut-être que dans un sens, ils s’entendraient bien avec sa parenté ailée… Les dragons et wyrms étaient très curieux. De grands enfants curieux. Oui, définitivement, ils s’entendraient bien. En attendant, lui devait gérer leur périple. N’ayant pas remarqué qu’elle avait du mal à suivre, il continuait de tracer leur avancée dans la ville jusqu’à leur but, le pied de la montagne. Pourtant, il écoutait toujours, intéressé. « Je vois… j’aimerais bien voir plus des vôtres en ce cas. Mine de rien, votre race me semble assez unique en son genre. Vos mots ont du sens, mais quelque chose me dit que pour réellement comprendre, il faudrait y ajouter l’élément visuel. Du moins pour moi en tout cas » Il n’avait nul mal à évoquer ses limites, comme il avait toujours été d’une franchise parfois malheureuse.

Ils continuaient d’avancer alors qu’il lui posait de nombreuses questions et quand elle lui en renvoya, il s’apprêta à lui répondre… pour la sentir soudainement tomber. Ses sens avaient bondit, son don unique, issu du pouvoir des passeurs,  galopant pour aboutir à la conclusion qu’aurait la rencontre entre la créature et la racine. Puis en une seconde supplémentaire, il convint que ce ne serait rien de mortel ou de réellement handicapant, et il laissa faire. Se retournant vers elle, arrêté, et l’observa se redresser. « Votre sang n’est pas rouge ? » Finalement, il s’approcha, s’accroupit et examina la plaie pour se donner contenance « Ce n’est rien de très grave, juste une écorchure… » Enlevant la lanière de cuir de son sac, il le posa par terre et en tira de quoi désinfecter et panser un peu l’écorchure. « Ça piquera un peu, puis ça passera, ne vous en faites pas »  Il prit un bout de linge, tamponna dans le baume puis l’appliqua sur la plaie. « Comme ça, ça ne risque pas de s’infecter. Faites attention à vous, si déjà vous tombez ici, vous aurez du mal à survivre longtemps dans les plaines de nuage. On ne voit pas le sol, là-bas… »

Il l’observa d’un regard attentif « Restez plus près… et je tâcherais d’aller moins vite également » Puis il lui tendit la main pour qu’elle puisse se relever. « Alors comme ça, vous imitez également les caractéristiques physiologiques des autres races quand vous changez de forme ? »

Répondant à ses multiples questions, Mei Liwan le laissa réfléchir à tout ça alors qu'elle slalomait difficilement entre les passants, serrant ses doigts autour de la lanière de sa besace, grimaçant quand on la heurtait. Décidément, aucun souci d'autrui autour d'eux ! Claquant la langue de désapprobation, la jeune Tseyvar trottina pour rester dans son ombre, son souffle se raccourcissant alors que ses capacités s'épuisaient. Ce qu'on pouvait être limité dans un corps pareil...

« Et bien je serais heureuse d'être votre guide le jour où vous viendrez en Hukan pour nous rencontrer. »

Ses sens finirent par la tromper et voilà qu'elle s'emmêla les pieds dans une racine apparente, la faisant glapir de surprise alors qu'elle tomba à terre, embrassant le sol en s'écorchant les mains et les genoux. Allons bon ! Froissée, elle s'assit pour regarder ses plaies qui la picotaient désagréablement avant d'écarquiller les yeux de surprise en remarquant que c'était rouge. Elle leva les yeux vers son guide avant de tressaillir quand il la soigna, fronçant son petit nez en trompette de mécontentement. Effectivement, ça piquait encore plus...

« Mon fluide est vert pâle dans ma forme originelle... Et cela fait longtemps que je ne me suis pas mis en humaine... »

Elle plia ses doigts avant d'attraper sa main pour l'aider à se relever, se remettant sur pieds en frottant son pantalon, affichant une moue alors qu'elle souffla un murmure cristallin, réparant les dégâts de ses vêtements comme s'il ne s'était rien passé.

« Quand on prend l'apparence d'un autre être, il y a toujours un petit moment de latence parce que notre cerveau s'harmonise avec les nouveaux sens, cela incluant votre oreille interne et votre sens de l'équilibre. C'est pourquoi j'ai trébuché... »

Elle regarda de nouveau ses mains avant de récupérer sa besace qu'elle remit sur son épaule, se remettant à le suivre en haussant un sourcil.

« Si je dois être encore plus près de vous, je vais finir dans vos bras. »

Il ne voulait pas non plus la porter ? Haussant un fin sourcil brun, Mei Liwan se rapprocha pourtant encore un peu de lui avant de reprendre la marche.

« Oui, pour que l'intégration soit parfaite et que rien ne fausse les résultats, je suis vraiment une humaine avec les organes, la peau, les caractéristiques, etc. J'ai simplement gardé mon cerveau. Mais une fois que toute la mécanique sera accordée, je ne trébucherais plus. Enfin, du moins je l'espère. »

Regardant autour d'eux en se remettant de la chute, Mei Liwan se tourna de nouveau vers son guide.

« Où nous rendons-nous dans l'immédiat ? Chercher les vivres et le matériel qu'il nous manque ? »

L'impatience ne l'avait toujours pas quitté.

Il l’écouta avec curiosité, n’en finissant pas de s’étonner de cette chose étrange, bizarre, qu’il avait récupéré. Il haussa les épaules, reprit sa marche. C’est qu’il préférait rapidement quitter les lieux… Pourtant, il lui dédia un regard amusé en l’entendant affirmer qu’elle ne trébucherait plus. Ses yeux pétillèrent. « Et bien j’espère également » Ce serait drôle, toutefois, dans une certaine mesure. Ou plutôt, dans la mesure où elle ne tombait pas au fond d’une fosse à vent, évidemment, ou dans la gueule d’une créature. Il ne savait absolument pas quelles étaient ses capacités physiques après ça, alors savoir si elle n’allait effectivement pas tomber… ils verraient !

« Oui, et partir» répondit-il de façon courte et concise. Il ne perdait pas de temps. Pourtant, en arrivant devant une des artères principales et la trouvant bouchée, il tiqua et changea de route pour l’entraîner dans de petites rues en dédale. Il leur fallut un peu plus longtemps qu’il ne pensait, mais finalement, ils arrivèrent sur une des places inférieures. Elle était proche des plaines cotonneuses, de sorte que de petits nuages duveteux et cotonneux, rosés, s’égaraient par instant dans les rues. La place était largement éclairée, pourtant, et ses pavés propres portaient de jolies couleurs. Le reste, il ne le vit pas, s’avançant droit vers le loueur de montures, il lui demanda l’une de ses bêtes, sorte de poisson oiseau indolent. Pendant que la créature était préparée pour eux, il alla également chercher son matériel auprès de l’homme à qui il l’avait laissé précédemment. S’en harnachant une partie sur le dos, il revint avec la seconde, la mit sur leur bête de somme puis conduisit celle-ci au centre de la place pour la laisser boire de l’eau de fontaine, claire et pure.

Alors seulement, il expliqua, pointant une arche ivoirine dans un coin de la place « Vous voyez cette porte ? Nous allons l’emprunter et déboucher directement sur la plaine la plus proche. Après elle, il n’y a rien d’autre que des nuages et de la nature pour…. Oh, au moins un bon mois de voyage à pied… donc largement de quoi vous satisfaire je pense. Nous pourrons retrouver de l’eau à boire en nous rapprochant d’un affluent de la rivière céleste également. Elle regorge de vie que vous pourrez alors étudier. Je compte nous faire faire une première boucle, puis revenir ici pour y déposer vos échantillons, et faire un premier bilan… si tout s’est bien passé et que vous voulez continuer, nous le pourrons »

Elle aussi espérait ne plus trébucher de nouveau parce que ce n'était vraiment pas une expérience agréable ! Son nez en trompette toujours froncé de contrariété, Mei Liwan continua de le suivre comme son ombre, veillant bien à coordonner son cerveau pour ne louper aucun obstacle tout en répondant à ses multiples questions. Les premières questions ce n'était vraiment pas simple mais elle finit par y arriver, ce qui fut beaucoup plus aisé. En tout cas, elle était rassurée de voir qu'ils étaient bientôt près à partir, plus qu'à récupérer les provisions et la nourriture et ils pourront enfin mettre les voiles directement l'extérieur de la cité.

« Bien. J'ai hâte. »

Si depuis le temps son pauvre guide ne l'avait pas remarqué... En tout cas, la Tseyvar était quand même relativement impressionnée par la connaissance qu'avait le jeune homme de tous les tours et détours des ruelles afin d'éviter la foule. Il semblait avoir une carte de la cité dans la tête... Fascinant. Silencieuse, elle ne le quitta pas un seul instant du regard, le regardant s'occuper des derniers préparatifs avec une main de maître. Quand elle le vit rejoindre la fontaine, elle s'approcha tranquillement et hocha la tête alors qu'il commença à lui expliquer leur itinéraire, regardant le chemin qu'il lui montrait. Et bien tout cela lui convenait à la perfection...

« J'espère que vous n'êtes pas attendu alors parce que ça risque de demander beaucoup de temps de labeur cette quête. »

Un petit sourire qu'on pouvait qualifier de mutin et malicieux aux lèvres, Mei Liwan commença à marcher en direction de la fameuse porte, toute frétillante à l'idée de commencer enfin sa quête du savoir.

« Allons-y pour cette première boucle. »

Passant les portes, elle ne fit pas attention aux moindres dangers, ses yeux scrutant le sol à la recherche de différents échantillons pour ses rapports, comparant ce qu'elle avait déjà par ce qu'elle avait sous les yeux. Pour l'instant il y a avait des similitudes mais rien de concluant, hélas. Un peu désappointé, elle garda le nez rivé au sol, attrapant quelques échantillons par-ci par-là avant de se redresser en se souvenant qu'elle n'était pas seule.

« Ca va ? Vous vous en sortez ou vous avez besoin d'aide ? A moins que vous ayez envie de poser de nouvelles questions ? »

Elle lui sourit de nouveau avant de se mettre à sa hauteur.

Il eut un rictus qui pouvait vaguement passer pour un sourire, puis secoua légèrement la tête, retenant la créature pisciforme. « Ne vous en faites pas, dans le pire des cas je dirais que vous m'avez kidnappé contre mon grès et retenu de force. Avec un peu de chance, ce sera tellement incongrus qu'ils en mourront de rire » Est-ce qu'il avait la moindre merci à leur égard ? Au final, pas vraiment. Il doutait en réalité que sa disparition soit réellement remarquée. Ils étaient au coeur d'une période plutôt calme, donc sa présence n'était pas franchement nécessaire. Ils seraient bien assez heureux de l'oublier au fond d'un trou jusqu'à ce que ses compétences soient de nouveau nécessaires à la bonne marche de la confrérie. C'était le propre des inquisiteurs : dénigré en temps de paix et acclamés en temps de troubles. Il s'en fichait, ça lui permettait des à côté plutôt reposants…

« Parfait »

Ils y allaient, donc. Plus tôt ils partaient, plutôt ils revenaient également, si on allait par-là. Il prit les rennes de la bête de somme et accompagna la chercheuse alors qu’elle s’avançait en tête de groupe pour passer la porte marquant la fin de la ville de Diadem. Fort heureusement pour tout le monde, les abords de la cité étaient vides de créatures ou de dangers, en cette période de l’année, même si les nuages cotonneux ne laissaient absolument pas voir le sol, en dehors de petites pointes de roches. Il émit une très discrète vibration, vrombissant dans le conduit de son nez, et laissa ses sens scruter la surface sur laquelle ils marchaient et qu’il ne pouvait pas voir. Etudiant le terrain, il ne fit dans un premier temps pas attention à elle, si ce n’est pour s’assurer qu’elle allait bien et ne s’était pas faite gober. De fait, sa soudaine prise de parole le surpris.

Il releva les yeux vers elle et en cligna avant de secouer légèrement la tête en signe de dénégation. « Je vais bien, je vous remercie. J’ai l’habitude. Et vous ? La marche n’est pas trop dure ? Vous vous y retrouvez ? Je sais que ce paysage peut être très déroutant la première fois qu’on l’observe. En plus, les nuages sont particulièrement épais en cette saison, dans les plaines, on y voit encore moins que d’habitude » Il changea son appui de pied en sentant une bosse sur le sol et poursuivit « Et je serais ravis de vous questionner encore, mais uniquement lorsque nous feront halte. Pour le moment je dois faire mon travail. D’ailleurs, venez par-ici… » Il s’approcha d’un renflement de nuage, montant sur ce qu’il savait être une petite colline même s’il ne la voyait pas véritablement. La pente légère se sentait, et ses sens ne l’avaient jamais trompé.

Une fois en haut, il montra une petite pointe de roche rosée dépassant du sol. « Tenez, ça ne vous conviendrait pas, ça, comme échantillon ? » Elle luisait légèrement, et quand on regardait avec attention, ou quand on avait des sens de dragon, on pouvait remarquer que la surface était loin d’être lisse, et semblait parcourut de veinules et d’arborescences délicates, comme des branches de flocon de neige. « C’est une pierre d’aube. Lorsque la saison des vols de dragons arrive, la foudre frappe parfois des pics de roche sur le sol et se loge en eux. La foudre y est contenue et, si on casse la roche, elle est libérée et peut être dangereuse. Mais quand on ne la libère pas et qu’elle mûrit, comme un fruit, elle devient une pierre d’aube. C’est une petite source d’énergie, un peu comme les œufs de dragons. Moins puissante, bien entendu, mais ça peut toujours servir et c’est esthétique selon les locaux »

Clignant des yeux à son trait d'humour, Mei Liwan eut un temps de latence avant de lui offrir un sourire hésitant et maladroit : non, ce n'était pas le genre de conversation qu'elle comprenait aisément... A leur retour de leur première boucle, il ne faudra pas qu'elle oublie de vérifier si passer autant de temps avec elle ne lui portera pas préjudice : elle s'en voudrait si ses compagnons se méprenaient pour créer des conflits afin de récupérer son guide. Silencieuse, la Tseyvar se reprit et franchit le seuil de la porte avec empressement et enthousiasme, commençant à fureter autour d'eux et du chemin à la recherche d'échantillon même si les premiers instants cela n'avait été guère fructueux. Au bout de cent c'était tout ce qui en résultait... Plissant son petit nez retroussée, elle réfléchissait en regardant autour d'eux.

Se souvenant que son guide la suivait, la petite brune ralentit la cadence pour se porter à sa hauteur afin de s'enquérir de son état, le fixant avec curiosité.

« Je m'y retrouve oui. Nous sommes encore aux abords de la cité alors au bout de cent ans, il n'y a guère de changement pour l'instant... La présence des bipèdes ont ralentit l'évolution de l'écosystème parce qu'ils puisent les ressources près de la cité. Je pense que ça sera beaucoup plus concluant quand nous nous éloignerons davantage. »

Un peu désappointée, elle le regarda pourtant avec surprise quand il l'invita à le suivre, trottinant derrière lui avant de s'agenouiller devant cette fameuse pierre d'aube, son regard se mettant à pétiller alors qu'une boucle brune chatouilla la pointe de son nez.

« Oh... Cela faisait longtemps que je n'en avais pas vu... »

Un petit sourire ravis aux lèvres, elle écarta les nuages pour mieux observer la pierre, tâtonnant la roche autour d'elle avant de sortir ses outils pour l'y déloger avec délicatesse, ses longs doigts fin polissant avec douceur la pierre.

« Elle est magnifique... Elle va me permettre de vérifier si la qualité des éclairs est la même que le siècle passé ou non. C'est un très bon indice de la qualité de l'environnement. »

Elle redressa son visage pour lui offrir un sourire éblouissant avant d'ouvrir sa besace et de l'y enfermer dans une boîte spéciale et hermétique. L'avantage de son invention était une conservation optimale et zéro risque de détérioration en cas de chute. Pratique ! Se penchant davantage, elle aperçut les zébrures de la chute de l'éclair, recueillant des prélèvements pour pouvoir dater de la naissance de la pierre d'aube. Quelques petits insectes atterrirent aussi dans ses flacons, il ne fallait jamais négliger le vivant qui était toujours l'élément hasardeux par excellence ! Se relevant, elle épousseta son fessier et se remit en marche, apercevant un arbre à l'étrange allure... Plissant le nez, elle resserra sa besace autour d'elle et entreprit de grimper dedans, souple et agile, parfois imprudente, montant aussi haut qu'elle pouvait tout en attrapant les échantillons.

« La vue est belle d'ici ! »

Elle se pencha pour le regarder d'en bas, ses longs cheveux flottant légèrement alors qu'elle le fixait avec curiosité, un brin de malice dans son sourire.